De Franse schrijfster Annie Ernaux werd geboren in Lillebonne op 1 september 1940. Annie Ernaux bracht haar kindertijd door in Yvetot, Normandië. Ze groeide op in een onbemiddeld milieu, haar ouders waren eerst arbeiders, later kleine middenstanders. Ze studeerde romanistiek aan de Universiteit van Rouen. Vanaf begin jaren 70 werkte ze als docente op middelbare scholen, daarna bij het Centre National d’Enseignement à distance. Vrijwel al het werk van Ernaux is autobiografisch van aard. Haar eerste roman, “Les Armoires vides” (De lege kasten), uit 1974, gaat over haar Normandische kindertijd, haar tweede, “Ce qu’ils disent ou rien” (1977), over haar adolescentie, haar derde, “La femme gelée” (De bevroren vrouw), uit 1981, over haar huwelijk. In 1984 kreeg ze de Prix Renaudot voor La Place (“De plek”), waarin de maatschappelijke stijging van haar vader centraal staat. Ook schreef ze over haar abortus (“L’événement”), over de ziekte van Alzheimer (“Je ne suis pas sortie de ma nuit”) en later de dood (“Une femme”) van haar moeder, en over borstkanker (“L’usage de la photo”). “Les Années”, verschenen in 2008, werd bekroond met de prix Marguerite Duras, de prix François Mauriac en de prix de la langue française.
Uit: La femme gelée
« Un mois, trois mois que nous sommes mariés, nous retournons à la fac, je donne des cours de latin. Le soir descend plus tôt, on travaille ensemble dans la grande salle. Comme nous sommes sérieux et fragiles, l’image attendrissante du jeune couple moderno-intellectuel. Qui pourrait encore m’attendrir si je me laissais faire, si je ne voulais pas chercher comment on s’enlise, doucettement. En y consentant lâchement. D’accord je travaille La Bruyère ou Verlaine dans la même pièce que lui, à deux mètres l’un de l’autre. La cocotte-minute, cadeau de mariage si utile vous verrez, chantonne sur le gaz. Unis, pareils. Sonnerie stridente du compte-minutes, autre cadeau. Finie la ressemblance. L’un des deux se lève, arrête la flamme sous la cocotte, attend que la toupie folle ralentisse, ouvre la cocotte, passe le potage et revient à ses bouquins en se demandant où il en était resté. Moi. Elle avait démarré, la différence. Par la dînette. Le restau universitaire fermait l’été. Midi et soir je suis seule devant les casseroles. Je ne savais pas plus que lui préparer un repas, juste les escalopes panées, la mousse au chocolat, de l’extra, pas du courant. Aucun passé d’aide-culinaire dans les jupes de maman ni l’un ni l’autre. Pourquoi de nous deux suis-je la seule à me plonger dans un livre de cuisine, à éplucher des carottes, laver la vaisselle en récompense du dîner, pendant qu’il bossera son droit constitutionnel. Au nom de quelle supériorité. Je revoyais mon père dans la cuisine. Il se marre, « non mais tu m’imagines avec un tablier peut-être ! Le genre de ton père, pas le mien ! ». Je suis humiliée. Mes parents, l’aberration, le couple bouffon. Non je n’en ai pas vu beaucoup d’hommes peler des patates. Mon modèle à moi n’est pas le bon, il me le fait sentir. Le sien commence à monter à l’horizon, monsieur père laisse son épouse s’occuper de tout dans la maison, lui si disert19, cultivé, en train de balayer, ça serait cocasse, délirant, un point c’est tout. À toi d’apprendre ma vieille.Des moments d’angoisse et de découragement devant le buffet jaune canari du meublé20, des oeufs, des pâtes, des endives, toute la bouffe est là, qu’il faut manipuler, cuire. Fini la nourriture-décor de mon enfance, les boîtes de conserve en quinconce, les bocaux multicolores, la nourriture surprise des petits restaurants chinois bon marché du temps d’avant. Maintenant, c’est la nourriture corvée.”
Annie Ernaux (Lillebonne, 1 september 1940)