De Franse schrijver Hafid Aggoune werd geboren op 17 maart 1973 in Saint-Etienne. Zie ook alle tags voor Hafid Aggoune op dit blog.
Uit: Premières heures au paradis
“J’imagine ma mère le jour de ma naissance. Elle me tient dans ses bras et il y a cette odeur sur sa peau, mon seul vrai souvenir d’elle. Je la regarde sans la voir, je la sens, je la touche et j’ignore que ce corps, sept jours plus tard, ne reviendra plus pour des raisons qui m’ont longtemps échappé, ne donnant à l’enfant que son odeur d’huile d’argan, comme une ruine faite de vents, pierres aériennes ancrées dans mes entrailles.
J’imagine mon grand-père, Michel Cannan, seul dans sa cuisine, rivé à sa radio pour écouter une course qu’il n’entendra jamais.
Les larmes commencent à éclore sous les paupières, à former leur petit bloc compact au fond de la gorge, avant de percer, perles précieuses faites d’amertume, de joie et d’inquiétude. Quand elles sortent enfin, je les laisse glisser sur mes joues, avant que le vent californien ne les emporte.
Je ne sais plus si je suis sur le sol ou immergé, me fondant avec le plus grand espace du monde, entre terre et eau, remontant la côte, faisant mes adieux à mon enfance perdue, à une étrange adolescence, à tous les spectres de ma mélancolie, conscient, à trente-cinq ans, qu’il va falloir devenir un homme ou ne plus pouvoir se regarder en face.
Il y a bientôt neuf mois, quelques heures après avoir quitté notre appartement, j’ai repris la chambre de bonne du boulevard des Filles-du-Calvaire, celle où j’ai vécu en arrivant à Paris. Le logement avait fait partie du salaire de garçon au pair.
En revenant seul dans ce coin de la capitale, les rues m’avaient semblé encore plus familières. Les traces de Michel Cannan et de mon père flottaient sur certains noms de rues.
J’étais si troublé que certains souvenirs surgissaient. Des paroles oubliées remontaient à la surface.
Avant de sonner chez Mme Mila, la grand-mère du jeune Aurélien que j’avais gardé, j’ai parcouru un voisinage chargé de souvenirs vagues que je n’avais jamais pris le temps de fixer, les laissant glisser puis disparaître.
J’imaginais le père et le fils traverser les boulevards, fiers et beaux, poussés par l’envie de dévorer la ville entière.”
Hafid Aggoune (Saint-Etienne, 17 maart 1973)